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mur du marathonien

  • "Et la vie elle-même m’a confié ce secret :

    Vois, m’a-t-elle dit, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même."

    Friedrich Nietzsche

     

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    Ça fait toujours 20 minutes de mieux que l'an dernier :)

     

    J+1 :

    - je marche en crabe et le moindre geste est compliqué (en vrai je suis attaquée par la fatigue, mais en même temps : complètement surexcitée).

    - mon petit orteil est porté disparu, quelque part dans le Bois de Vincennes. Si quelqu'un le retrouve, il serait bien aimable de me le déposer aux objets trouvés.

    - j'ai pas tous mes neurones, eux ils sont certainement restés dans le Bois de Boulogne.

    Quelqu'un d'adulte et normalement constitué, ne braille pas dans le métro devant des inconnus morts de rire quand vous tentez péniblement de vous asseoir : "Nan mais franchement, vous trouvez pas qu'il faut être complètement frappé pour s'infliger un Marathon ? La vérité, c'est plus de mon âge ces conneuries !".

    - là, je vais faire un truc de ouf (trop une gueudin moi) : manger un Mac Do, et boire du VRAI Coca (le rouge, pas çui où ya que de l'air...).

     

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    Mais sinon, c'était trop bien !

     

     

    Et Samedi soir, j'ai causé dans la Radio RTL. C'est à partir de la 16ème minute ICI.

     

     

    Récit :

     

    J - 1 semaine.

    Intérieur jour : cabinet du médecin.

    Même sketch que l'an dernier, terrorisée, surexcitée et m'inventant des douleurs imaginaires.

    Mon médecin dégaine sa séance d'acupuncture.

    Je braille : "Nan mais Docteur, piquez tout c'que vous voulez. J'ai peur d'avoir un point de côté... Passque lors de ma dernière sortie longue, j'ai eu un point de côté. C'était affreux vous comprenez ? Et vous êtes pas certain que j'aurais pas comme un genre de restant de la pancréatite de Janvier ? J'ai mal au ventre... A l'hosto, ils m'ont dit que si ça revenait, il faudrait m'enlever la vésicule biliaire. Moi j'veux bien hein, on peut même le faire maintenant si vous voulez ?"

    Là, il a fait comme dans la pub où un mec descend pour se plaindre auprès de sa voisine comme quoi qu'elle fait trop de bruit, et elle lui colle un gros morceau de fromage dans la bouche : il m'a dit de me taire et de me calmer.

     

    J - quelques jours.

    J'ai mal aux fesses, aux jambes, aux pieds, au ventre, au dos, aux épaules. Partout, quoi (sauf les oreilles, les oreilles vont très bien).

    Cerise me dit : "Sonia, cette année, t'essaye de pas passer tes nerfs sur moi, hein ?"

    Morte de honte, je lui demande de me bâillonner systématiquement à chaque fois qu'elle me voit.

     

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     Au lieu de ça, elle me fabrique une pancarte :)

     

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    Salon du Running. J'ai pris un RTT.

    J'y passe tout l'après-midi (après avoir enregistré l'émission sur RTL).

    Je retrouve les copinettes de la team Asics, pour faire la photo.

    30% de neurones en moins, je me pointe sur le stand sans ma tenue, juste avec ma gueule...

    On me prête un tee-shirt.

     

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    Chuis cachée dans le fond, mais chuis là quand même...

     

    Je tourne dans le salon, achète des chaussettes anti-ampoules, un nouveau collant de compression Skins (d'la bombe baybay), une brassière Anita (dont je vous causerai plus tard) et blablate avec ma cops Carmen (Championne de France du Marathon 2013).

    Avisant un stand de manucure, je décide de me faire poser du vernis vert Hulk (en plein Running Expo, oui oui, on ne se refait pas...).

    Je reste avec Nadia, Frogita, et Aline (qui a des médailles de toute beauté dans son sac, les courses qu'elle a fait chez Mickey en Amérique !).

    On n'a pas envie de prendre le Tramway, on décide de marcher 1 heure en fumant des clopes (portnawak). Avant ça, on bouffe des cupcakes (double portnawak).

     

    La veille.

    Je débriefe 40 fois par jour avec Spike (qu'a pas envie de parler).

    Je brame sur chaque personne qui me dit : Rho ça va, tu l'as déjà fait l'an dernier...

    Ouais, ben l'an dernier c'était ya 1 an, et la pancréatite-de-sa-race ne m'avait pas occasionnée de séjour à l'hosto en Janvier et privée de course à pied pendant 1 mois.

    Je commence à avoir peur (en fait j'ai déjà peur depuis plusieurs jours).

    Je fais comme Nadia a dit : une check-list pour m'assurer que je n'oublie rien. Je prépare ma ceinture. Dedans il y aura une pharmacie ambulante... Bourrée d'anti-vomito, d'anti-popo (glamour quand tu nous tient...), de citrate de bétaïne contre les crampes, d'anti-douleurs, et d'aspirine Upsa. Il y a également des pansements Compeed, du Baume du Tigre, et... mon rouge à lèvres (je t'esspliquerai plus tard...).

    Je mange mes pâtes complètes à l'épeautre, bois minimum 3 litres d'eau (ça c'est depuis 1 mois), et termine par une banane. Le camel-bak (poche à eau) est rempli à bloc, et j'y rajoute 3 compotes bio de fruits secs Ultimum.

    Pas de Gatosport cette année. Ya rien à faire, j'arrive pas à avaler ce truc.

    Pour le p'tit-déj', j'adopte la méthode simple de mon copain No Pain No Gain : flocons d'avoine dans du lait de soja, et une banane coupée dedans. Ça m'avait bien réussi au Semi-Marathon. On va faire pareil.

    Couchée à 23h30 en réglant 3 réveils (au cas où).

    Je me réveille toutes les heures pour aller aux toilettes... 

     

    Et big up à A.S.O. qui (pour une fois) a pondu une très belle vidéo où TOUS les coureurs sont à l'honneur, du premier au dernier...

    Sauf qu'ils auraient également du montrer cette dame (qui a fait le parcours en 12h).

     

    Jour J.

    Levée à 5h du matin pour cette journée attendue depuis des mois...

    J'ai déjà un texto de Spike qui me dit qu'elle n'arrive pas à dormir et est en train de faire du yoga (normal). On ne prendra pas le départ ensemble car nous ne sommes pas dans le même sas. Mais elle viendra à bout de la distance mythique, je le sais déjà.

    Comme un automate : douche, petit-déjeuner, léger maquillage (ouais), et... scotchage de chaque doigt de pied avec un pansement Compeed. Je vais y passer 30 minutes... J'oublie un petit orteil (je vais le payer cher plus tard, mais ça, je ne le sais pas encore...).

    Sortie de chez moi à 7h pour rejoindre le camion Laurette Fugain garé Avenue Kléber.

    Dans un brouillard total, je revis la même scène qu'il y a un an. Sauf que cette année, ça va, je n'ai pas envie de pleurer ou de vomir. Mais je reste associable, prête à mordre, et suis incapable de parler aux gens...

    Sous mon dossard : un dessin. Il sera ensuite remis à un enfant malade de l'Hôpital Saint-Louis, avec un vœu d'espoir.

    Sur mon tee-shirt : "Je cours pour Sacha & Aurore".

    Sacha, c'est mon vieux pote... 15 ans qu'il traîne sa leucémie. Aurore, c'est la jeune femme à laquelle l'Association Laurette Fugette m'a associée. Elle aussi est à Saint-Louis...

    NB : merci pour les sous que vous avez versés à ma cagnotte ! J'ai pu remettre plus de 1000€ à la recherche ! Merci merci merci...

     

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     Sacha aussi m'a envoyé un dessin... Il est également sous le dossard...

    (et une pensée pour Hervé...)

     

    7h30 : je dépose mes affaires dans le camion. Ma collègue Teutonne (Hulkette) qui fait coach comme l'an dernier, m'accroche un ballon violet dans le dos. On prend les paris : va-t'il tenir plus de 5km cette fois-ci ? 

    Ma collègue me dit qu'il faut que je garde ma genouillère. Mes problèmes de genou ne sont plus réapparus, mais on ne sait jamais... Elle dit que c'est psychologique et que ça rassure. Je l'écoute.

    Je vire la veste. Ce sera uniquement un tee-shirt à manches courtes. Il va faire très chaud.

    8h : descente vers notre sas de départ. Je commence à trembler d'angoisse lorsque j'aperçois l'arche de départ... Je réalise : chuis folle de faire ça. Qu'est-ce qui m'a pris d'aller me mélanger avec "les grands" ?

     

    L'attente commence pour les 90 coureurs en violet.

    Des petits jeunes d'une école d'ingénieur sont avec nous dans l'asso. On papote (j'ai subitement retrouvé la parole). Ils sont mignons, en shorts de foot pas faits pour courir, et sans aucune idée de ce qu'est une crème anti-frottement à se passer sur les tétons...

    Caro, une lectrice qui a gagné un Dossard pour le Marathon, me rejoint. Elle a décidé de rester avec moi. Ce sera son baptême.

     

     

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     Saïmeune-Hulk est en Pom-Pom girl (et est même passé au journal de TF1 !).

     

    9h05 : le départ.

    Comme l'an dernier, tout en douceur. La vague violette qui descend les Champs-Elysées.

     

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    Les Kényans, les flèches sont parties bien avant nous. Nous ne gênons personne.

    A tel point que nous nous retrouvons à une petite dizaine, seuls sur les Champs-Elysées, seuls sur la Concorde, seuls sur la Rue de Rivoli. Les spectateurs nous applaudissent. 

    C'est un instant magique.

     

     

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    Nous sommes dimanche matin, le soleil brille timidement, Paris est à nous, sans voitures, et (parce que nous sommes tarés) nous nous apprêtons à courir 42,195km...

     

    En descendant jusqu'à la Bastille par la rue de Rivoli, je regarde les gens attablés aux terrasses de café. Ils fument des clopes, boivent du café et mangent des croissants.

    MAIS QU'EST-CE QUE JE FOUS LA A COURIR AU LIEU DE FAIRE PAREIL ???

     

     

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    Nous sommes 5 : Caro, Cerise, son chéri, un coureur Laurette Fugain (Thomas) super sympa.

     

    5ème km : derrière moi, Thomas lance à Cerise : "C'est dingue ce qu'elle est régulière Sonia. Elle ne change pas son allure, un vrai métronome. Tu la suis, t'es calé !"

    Je gonfle les plumes.

     

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    Cerise me dit qu'elle compte s'arrêter au ravitaillement. 

    Je ne veux pas. Si je commence à m'arrêter maintenant, je vais casser mon rythme. Et si le point de côté arrive, je ne pourrai plus rien faire. J'ai pas besoin de boire grâce au camel-bak, pas besoin de sucre. On verra au 10è km.

    Cerise m'informe : "J'vais pique-niquer. Je te rejoins !".

    Je ne la reverrai plus... Elle terminera ce Marathon, mais très difficilement...

     

    10è km : Caro va chercher de l'eau. Je prends une banane, 2 quartiers d'orange. On est en avance par rapport au temps de l'année dernière. Tout va bien.

    Je mange.

    Je me remets du rouge à lèvre (en courant).

    Ben oui, les lèvres se dessèchent et après chuis collée et ça me perturbe.

     

    15è km : on est nickel chrome.

    Je m'arrête aux toilettes. Caro se verse carrément une bouteille d'eau sur la tête.

    Je bouffe mes bananes. Je me remets du rouge à lèvres.

     

    On est toujours dans le Bois de Vincennes. C'est long, monotone. Je ne connais pas trop cet endroit. Je veux me retrouver sur les quais, un parcours connu, dans Paris, quelque chose que je maîtrise.

     

    20è km : le truc improbable...

    Je sens qu'un coureur me bouscule et me file un violent coup de coude.

    Je braille : Mêêêhhhh, vous m'avez fait mal !!!

    Le coureur s'excuse.

    Je rajoute : Ça fait TRÈS mal. Demain j'avais avoir un bleu !!!

    Le coureur demande : Sonia ???

    Je me retourne.

    Mon Collègue. Je ne savais même pas qu'il participait...

    (le lendemain, je lui enverrai une photo de mon hématome, avec pour seule légende : "Merci pour ce moment :)").

     

     

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    Passage du semi-Marathon. On est toujours au top. Mon petit orteil me fait mal, mais est comme anesthésié. Je ne sais pas encore qu'en fait je l'ai paumé dans le bois.

     

    Des spectateurs me disent souvent : "Attention !!! Vous êtes poursuivie par un ballon !".

    Ah oui, tiens, il a tenu plus de 5km cette fois-ci !

     

    24è km : passage sous le long tunnel des quais. Grosse lolade car on nous avait annoncé des animations au top. Ben on les a pas vues. Je sens les méfaits de la pollution. J'étouffe en fait. C'est tout noir avec quelques lasers qui donnent mal au cœur... Ya un DJ qu'est là. Je me mets à penser qu'il va ressortir tout noir à la fin de la journée.

    C'est à cet endroit que Spike m'a dit qu'elle avait eu des hallucinations, qu'elle s'était mise à penser à des trucs tout cheulous. Ça m'étonne pas... C'est pas vraiment un endroit propice à la méditation !

    Au bout de 1000 ans, on ressort enfin à l'air libre et j'ai commencé à négocier avec Caro : "Ah nan mais là, ya sortie de pont, DONC ya concept de petite côte de bâtard, faut que j'm'économise, ya pas moyen que je cours !". On marche 10 mètres.

    Tout va bien.

     

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    25è km : j'me remets du rouge à lèvres.

    Les spectateurs sont morts de rire. Je réponds : "Ben oui M'sieurs-Dames ! Courir, oui ! Mais dans la dignité ! Ya des photographes !".

    Des Pompiers tiennent de grandes lances à incendie et arrosent les coureurs. On se poste sous la douche. Habillées. C'est normal.

     

    30ème km : qui est le petit rigolo qui a planté deux énormes dessins en 4x3, de chaque côté de la route, et représentant un mur, avec inscrit dessus "Bravo, vous venez de franchir le mur du 30ème km !" ???

    Nan mais sans déconner... Je pense avoir de l'humour en temps normal... Mais là : non.

    Moi, j'l'ai pas le mur. Caro non plus. Mais autour de nous : oui. Des gens le prennent en pleine face. Comme une voiture qui n'a plus de carburant. La machine refuse d'avancer. Le corps plante, tu ne peux rien maîtriser. Ça tombe, ça tombe, ça tombe... Comme des mouches... C'est affreux.

    Je n'ai jamais vu autant de choses horribles sur un parcours de course. Nous étions 54 000 au départ sur les Champs-Elysées. Seulement 40 176 personnes ont passé la ligne d'arrivée... Fais le compte...

    Mon copain Thibault, coach, entraîné, visait 2h33 à Paris, après son 2h37 à Berlin... Il a mangé le mur un peu avant le 30è km. Il a terminé avec les jambes en bois, pieds nus, et en marchant. Il a refusé la médaille.

    Je pense que ces panneaux qui se voulaient drôles : ça ne l'a pas fait marrer du tout (et le p'tit Chinois de Spike non plus... Lui aussi a vécu le mur... Et ça c'est moche, très très moche...).

     

     

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    31è km : on arrive enfin à la Maison de la Radio où est le Point Supporters Laurette Fugain avec l'orchestre Brésilien.

     

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    Ma maman est là, avec ma collègue Teutonne (qui va me servir de coach jusqu'à la fin).

    Je me jette dans les bras de ma mère pour lui faire un bisou !

    Je lui lance : "Aloooooors ??? Chuis pas fraîche là ? 15 minutes d'avance sur mes prévisions, Môman !!! C'est qui le patron ? T'as vu ce talent ?".

    En fait, je fanfaronne juste pour la rassurer car je sais qu'elle est stressée...

    J'ai mal. Je ne veux pas qu'elle le sache...

    Mal aux jambes, je sens que ça s'ankylose. Mais c'est préférable à un point de côté ou à un problème de genoux...

     

    Juste avant, il y avait le point massage. La quarantaine de chaises était prise. J'ai hésité...

    Si je m'assois pour confier mes jambes à un kiné : je ne repars plus.

     

    On continue, jusqu'au Pont Mirabeau où m'attendent mon amie Caro, son mari, ses gosses et une pancarte avec marqué des tas de trucs pour moi, et des cœurs partout :)

    Ça me fait tellement plaisir que j'en ai les larmes aux yeux.

    Caro va courir avec moi jusqu'à la Porte d'Auteuil. Elle m'a préparé une petit bouteille d'eau dans laquelle elle a fait fondre un cachet de Citrate de Bétaïne et une Aspirine Upsa.

    Elle me donne à boire, car je suis tellement gonflée que je ne peux rien faire...

    Je lui montre mes mains : "Chouf ! Tu sais, l'an dernier à la même époque, j'avais des Knakis Herta à la place des doigts. Cette année, c'est carrément des Saucisses de Morteau !".

    Je ne peux même plus me remettre de rouge à lèvres (et ça me désole tu sais).

     

    Kat, ma collègue Teutonne me dit "Arhh, tu as l'air bien !" (essaye d'imaginer avec l'accent Allemand, je sais pas faire par écrit).

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    Concrètement, c'est à ce moment-là que je vais commencer à faire chier le monde.

     

    Passage devant Roland-Garros. Je demande à marcher un peu. Mes cuisses sont en béton.

    Kat me dit que ça doit durer 30 secondes. On repart. La Caro n°1 continue à se verser des bouteilles d'eau sur la tête. La Caro n°2 va me chercher à boire, pendant que Kat prend les bananes et les oranges. Mes mains ne me servent plus à rien (rapport aux saucisses de Morteau... Un peu plus tôt, j'ai essayé d'ouvrir le sachet d'une pâte de fruits... J'ai du me résoudre à demander de l'aide à un adulte...).

     

    35è km : Porte d'Auteuil. On rentre dans le Bois de Boulogne. Il reste 7km... Ce sont les plus difficiles de tout le Marathon.

    Concept de "petite côte de bâtard" : je marche quelques mètres.

    En braillant.

    En maugréant que c'est insensé, innommable, inconcevable. Que "la distance reine de mes fesses ! Ah ça, que suis-je venue faire dans cette galère ? Pourquoi, why ? Personne ne m'a forcée, et en plus j'ai payé pour être là !"

    A-propos de fesses... Une dame passe devant nous : elle a fait popo dans son short blanc (j'ai bien dit "popo", pas "pipi").

    Je lance : "Madame, à ce stade, faut s'arrêter !".

    Kat est scotchée et marmonne plein de trucs façon Karl Lagerfeld scandalisé : "Ahrrr... Mais pourquoi ??? Elle devrait retirer son tee-shirt, courir en brassière, et couvrir ses fesses !".

    Courir : oui. Mais dans la dignité !

    Caro dit que, si ça se trouve, la dame ne s'est rendu compte de rien...

    Je réponds que c'est pas possib'. Que ces choses-là, ça se "sent" (si je puis dire).

     

    Je tente de négocier un peu de marche avec Kat.

    On ne peut RIEN négocier avec Kat.

    Elle essplique que si l'on marche, ça fait mal quand même. Qu'il faut repartir à l'arbre là-bas. Je fais comme si je ne comprenais pas ce qu'était un arbre, et je parle du bus bleu.

    Portnawak.

    Kat part devant car il y a 2 coureurs Laurette Fugain en difficulté. Le Thomas du départ, qui marche depuis plusieurs kilomètres, Il a couru plus vite que nous, et nous a dépassé après le 10ème km. A présent, son genou est coincé. Il ne peut plus rien faire...

    Il y a également un des p'tits jeunes de l'école d'ingénieurs. Il est au bord des larmes, au bout de sa vie. Il découvre la méthode Allemande... Et se traîne derrière nous, complètement à l'ouest.

     

    Je sais même plus à quel kilomètre on est. Ça fait au moins 1 heure que j'ai pas regardé la montre...

    J'm'en fiche, j'ai plus de neurones.

     

    Là, tout ce que je sais (dans le désordre) :

    - Que je terminerai ce Marathon. Pour Sacha, pour Aurore, pour Hervé, pour tous les autres. Et parce qu'il est hors de question que j'arrive dernière du challenge Asics et que je me fasse alllumer par Marc Raquil (dignité).

    - Que j'ai aucun mental.

    - Que je ferai mieux que l'an dernier.

    - Que j'ai subitement envie de manger une choucroute (encore rapport aux saucisses...), et aussi passqu'on vient de passer devant le stand de ravitaillement en produits régionaux. Ya des dames habillées en Alsaciennes qui filent de la bière et du vin blanc aux coureurs. Kat me dit que si je bois de l'alcool maintenant : elle me tue.

    - Que je vais boire un Coca rouge, manger des frites et des nounours à la guimauve et au chocolat, et me bourrer la gueule au Champagne avec les filles d'Asics (le mardi suivant, je suis rentrée chez moi ronde comme une queue de pelle, dans le métro avec Frogita).

    - Qu'il faut vraiment que je me fasse enlever la vésicule biliaire. Après tout, c'est comme les amygdales ou l'appendicite. Ca sert à rien, non ?

    - Que si j'étais Kényane, je serais déjà arrivée depuis 3 heures.

    - Que si je faisais du fractionné, je serai déjà arrivée depuis 1 heure...

    - Que le mari de Céline C. a bien raison : "Comment mange-t'on un éléphant ? Bouchée par bouchée".

    - Qu'il faut que j'arrête de fumer (mais que je rêve d'une cigarette).

     

    Des bénévoles apparaissent sur la route : ils agitent sous nos yeux la Médaille du Marathon, toute brillante avec les sequins représentant les pavés de Paris. Rho la carotte !!! Ya pas moyen qu'elle ne soit pas à nous !  

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    Kat me dit qu'en m'attendant à la Maison de la Radio, elle a vu passer un coureur tout nu, seulement vêtu d'un cache-sexe façon Borat...

    Caro demande : Où est-ce qu'il avait mis son dossard s'il était tout nu ?

    Je réponds que je ne veux pas le savoir. Parfois, il y a certains mystères qu'il vaut mieux préserver...

     

    Je ne veux plus parler. J'écoute Kat. Je la visualise façon Karl Lagerfeld, en train de caresser son chat Choupette dans les bras, et l'éventail à la main (je sais pas ce qu'ils mettent dans les bouteilles d'eau du ravito, mais c'est de la bonne !).

    Caro m'encourage.

    Mon double maléfique apparaît. Celui de fin d'une course difficile. Celui que je ne peux pas maîtriser car je n'ai plus un gramme de sens commun et parce que ça fait plus de 5 heures que je cours...

    Je réponds : J'aime pas les encouragements !

    Elle me dit : Regarde... Ya la tour de l'hôtel Park Hyatt de la Porte Maillot ! On arrive !!!

    Moi : MAIS JE CONNAIS CE PUTAIN DE PARCOURS, JE SAIS OU ON EST !!!

    (en y repensant, j'ai vraiment envie de me coller des baffes)

     

    C'est à ce moment-là que je réfléchis à tout ce que j'ai fait pour en arriver jusqu'ici...

    Les heures d'entraînement... La nuit, en hiver, dans le froid, sous la pluie.

    Les matins où je partais au boulot, avec mon sac sur le dos. Les soirs où je me changeais dans les toilettes du travail pour rentrer en courant, en suivant un parcours de 18km. Seule, avec mes écouteurs dans les oreilles.

    Les fins de journées, où je me disais qu'il serait tout de même plus pratique de prendre le métro, et de rentrer directement chez moi, bien au chaud, le cul dans le canapé, devant la télé ou au téléphone avec mes amis.

    Mais ça c'était avant...

    Combien de fois est-ce que j'ai fait ça ?

    Les privations alimentaires avant la date fatidique. Les repas à base de quinoa... Les soirées où je ne pouvais pas boire d'alcool...

    On n'a rien sans rien. Au bout d'un moment ça paye. Je suis une privilégiée. J'ai le droit de faire ça... Pas Sacha, pas Aurore...

    Les pensées qui se bousculent.

    J'ai pas le droit de me plaindre et d'être imbuvable, comme une connasse.

     

    Le rond-point de la Porte Dauphine apparaît devant mes yeux.

    Le panneau "42km" se matérialise.

    La foule, immense. La petite fille de Caro arrive en courant et lui donne la main, pour terminer avec elle.

     

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    Crédit Photo : Caro n°3

     

    Je flotte...

    Portée dans un rêve, seulement tenue par mon ballon...

    C'est comme l'an dernier...

    Finalement, ma plus grande angoisse était celle-là : ne pas revivre la même émotion que le 6 Avril 2014... Mais elle est là l'émotion.

    Je veux que les 195 mètres ne s'arrêtent jamais. C'est le moment le plus magique de tout le parcours.

    Les larmes coulent, je ne maîtrise rien. Toute petite devant la grande arche de l'arrivée. Venir à bout de ce défi : la fin de la distance reine, sur l'Avenue Foch.

     

    Finisher des 42,195 kilomètres.

    Pour la seconde fois de ma vie, à 43 ans.

    Moi, Sonia, la nulle en sport, la fille sur le banc. Double-Marathonienne.

    Je m'appuie sur une barrière, juste derrière le tapis d'arrivée. Secouée de tremblements.

    Ma maman est là, apparue par enchantement.

    Comme un gros bébé, elle me prend dans ses bras. On pleure toutes les deux ensemble...

     

    J'entends hurler : "Soniaaaaaaa, ma copiiiiiiiine !!!"

    En relevant la tête, j'aperçois Frogita, depuis la terrasse du bus Asics. Je lui envoie des baisers.

     

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    Je détache le ballon, et vais l'accrocher sur le Stand Laurette. Stéphanie Fugain me fait un sourire...

     

    Je n'ai besoin de rien d'autre.

    Tout est parfait. Nous sommes hors du temps, demain on reprendra une activité normale.

     

     

    "La force ne résulte pas des capacités physiques mais d'une volonté infaillible."

    Gandhi